mardi 25 septembre 2012

Le petit vieux du matin au supermarché

Avertissement : je vais te parler d’un truc que tu n’as probablement jamais remarqué si tu ne travailles pas en grande distribution ou si tu n’es pas toi-même le petit vieux susnommé. 

Je ne parle pas des troupeaux de vieux que l’on retrouve les samedis aux heures de pointe, qui s’arrêtent en plein milieu des allées avec leur chariot pour discuter avec la voisine – parce que sortir de chez soi et faire 2 mètres pour parler avec elle c’est quand même vachement moins rigolo que d’aller le faire au milieu d’un supermarché bondé. Nan, le troupeau de vieux, c’est une autre histoire. On arrive assez facilement à cerner leurs objectifs :
  1. Les vieux s’emmerdent alors ils vont faire les courses : ça semble assez plausible. Par un malheureux hasard, il se trouve que les vieux s’emmerdent tous en même temps, le samedi après-midi, parce qu’il n’y a rien à la télé et que les petits enfants ne viennent que le dimanche. C’est d’ailleurs pour ça que je milite activement pour que les épisodes de Derrick soient diffusés le samedi après-midi.
  2. Les vieux se sentent seuls alors ils veulent voir des gens. Comme ils savent que les gens normaux travaillent toute la semaine et n’ont que le samedi pour aller faire les courses, ils décident d’y aller pile en même temps pour pouvoir voir du monde. Eux ils ont tout leur temps, ils s’en foutent ils sont contents. Ils ne se rendent pas compte que nous on aimerait bien ne pas passer 2h dans le supermarché parce que bon, hein, c’est pas tout ça mais j’ai un jeu vidéo à finir.
  3. Ca fait cinquante ans qu’ils font les courses le samedi après-midi alors ils ne voient pas pourquoi il faudrait changer leurs habitudes quand bien même ils peuvent y aller pratiquement n’importe quand.
  4. Les vieux font ça pour se venger. Pendant des années, les vieux se sont retrouvés emmerdés le samedi après midi par des vieux – des vieux de leur époque, maintenant, nous, on appelle ça des souvenirs – et ils n’ont rien trouvé de mieux pour assouvir leur soif de vengeance que de le faire sur la pauvre génération suivante qui ne leur a pourtant rien fait, hein. Elle, à la même époque, elle ne demandait qu’à aller jouer au foot avec les copains : les courses, ça la gonflait aussi.
  5. Les vieux sont les vrais inventeurs du flash-mob. Ils se téléphonent un ou deux jours à l’avance pour se donner rendez-vous au milieu du supermarché du coin avec un caddie, leur signe de reconnaissance – non, je ne vois pas en quoi c’est complètement con d’avoir pour signe de reconnaissance un caddie de supermarché, c’est pas comme si 80% des gens qui y vont en prenaient un – afin de créer un effet de masse qui arrive d’un coup et se disperse rapidement. Sauf que, ben les vieux, ils marchent pas vite et ils parlent beaucoup alors le flash-mob, il a un peu de mal à se disperser.
Le troupeau de vieux, disais-je c’est donc un vrai fléau mais on parvient à les comprendre. Il est donc facile de créer des parades comme aller faire ses courses le soir après le boulot ou pendant la pause déjeuner. Par solidarité, on peut aussi appeler son papi ou sa mamie le samedi juste après le repas. Ca permettra aux victimes de nos propres ancêtres de leur échapper, sauf si les grands parents ont cédé à l’appel technologique du téléphone portable. Si les vieux ne sont même plus rétrogrades, on est vraiment foutus.

Mais celui qui m’intrigue, moi, c’est ce petit vieux qui est toujours là à 8h pétantes quand le magasin ouvre à 8h30, qui se précipite à l’ouverture, prend sa baguette et repart aussi sec avec son pain sous le bras dans sa voiture toujours garée à la même place – pas nécessairement la plus près – sur le parking. Il m’intrigue car on peut noter plusieurs paradoxes dans son attitude :
  1. Il ne fait chier personne. C’est quand même particulièrement bizarre pour un vieux. Parfois, si le magasin a le malheur d’ouvrir une minute en retard il va râler un peu. Mais il reviendra le lendemain.
  2. Depuis le temps qu’il vient là, il a probablement dû remarquer que le magasin ouvrait à 8h30 et pas 8h alors pourquoi s’obstine-t-il à arriver trente minutes en avance ? Aime-t-il observer les employés qui travaillent sur le parking avant l’ouverture parce que ça lui rappelle sa jeunesse ? Est-ce le seul moment de la journée où il peut fuir sa femme – elle croit que ça ouvre à 8h et trouve normal que ça lui prenne 40 minutes d’aller chercher le pain ? Ou bien espère-t-il secrètement qu’on finisse par lui dire qu’il peut aller chercher son pain avant, puisqu’il est là, et qu’enfin il pourra regarder en entier son émission télé qui commence à 8h25 ?
  3. Il a probablement une boulangerie près de chez lui, pourquoi prend-il sa voiture pour aller chercher son pain au supermarché ? D’accord il est sans doute moins cher mais les quelques centimes économisés sont dépensés dans l’essence pour y aller. Bon. Notre pain n’est pas mauvais, peut-être que c’est son pain préféré. Mais moi, je trouve quand même ça bizarre.
L’habitude. Oui, probablement. Mais quand une habitude est con, n’y a-t-il pas un moment où l’on s’en rend compte et que l’on se décide à la changer ? Ou peut-être que notre petit vieux est en fait un agent secret qui planque des infos dans le coffre de sa voiture. Et pendant qu’il nous fait croire qu’il vient tranquillement acheter sa baguette de pain, il échange des informations ultra-sensibles avec un autre agent secret. C’est pour ça qu’il ne gare pas sa voiture juste devant le magasin. Comme ça, son contact ne se fait pas remarquer quand il récupère le plan d’attaque des terroristes que le vieux a infiltrés discrétos. En fait, le vieux, chaque jour en venant acheter son pain, il nous sauve d’un complot visant à faire exploser la tour Eiffel, le président ou toutes les fruitières du Jura où ils fabriquent le comté – de loin l’attaque la plus dangereuse.
C’est beau, ce dévouement. A la retraite, il a décidé de continuer à travailler en secret de tous pour nous sauver la mise. Peut-être même qu’il travaille à faire disparaître les flash-mobs de vieux du samedi après-midi. Qu’il va se débrouiller pour que les vaches laitières du Mont d’Or puissent brouter de la bonne herbe du pâturage toute l’année pour que nous puissions profiter de ce délicieux fromage toute l’année – encore que, je lui en demande peut-être trop, le coup de l’herbe toute l’année c’est plutôt un boulot pour Chuck Norris. Quoi qu’il en soit, la prochaine fois que je le verrai, ce vieux, je lui dirai merci.

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