Cela ne fait pas très longtemps que je
l’ai appris. J’ai vraiment eu un choc, en recevant cette
nouvelle. Imaginez : vous passez votre existence innocemment,
sans que jamais ne vous vienne à l’idée qu’une telle tare vous
serait tombée sur la tête et, un matin, au cours d’une
consultation gynécologique tout à fait banale, votre médecin vous
déclare, implacable, après vous avoir demandé votre taille « vous
êtes petite ». Elle aurait pu prendre des gants. Heureusement
douée d’une force mentale impressionnante, je suis parvenue à
encaisser la nouvelle de façon digne, et j’ai même réussi à le
dire à Mister G sans pleurer. J’avais pourtant peur de sa
réaction, imaginez qu’il ait cru que je le lui avais caché
pendant toutes ces années ! Heureusement, il me fait confiance
et quand je lui ai dit que je n’étais pas au courant, il n’a pas
cherché plus loin, me prenant dans ses bras pour me consoler de
cette terrible nouvelle.
Tu vas te dire, cher lecteur, il y a
des signes qui ne trompent pas, elle aurait pu s’en douter !
Figure-toi que non. Oui, d’accord, à mon travail je ne connais
qu’une ou deux personnes qui sont plus petites que moi, et encore,
en chipotant. Mais je me suis dit que c’était simplement un hasard
statistique. Après tout, quand vous êtes basketteur, vous pouvez
très bien être le plus petit de votre équipe de basket et être le
plus grand de tous les autres gens que vous connaissez. Je ne suis
pas basketteuse, mais je ne vois pas pourquoi cette règle ne
s’appliquerait pas à une graphiste. Et il y a plein de gens qui
sont plus petits que moi. Mes nièces, par exemple. Oui, bon, pas les
deux plus vieilles, mais ça ne fait pas longtemps. Avant, elle
étaient plus petites que moi. Au moins jusqu’à leurs 12 ans !
Quand elles ont commencé à me dépasser, je me suis naturellement
dit que c’était simplement une manifestation de leur crise
d’adolescence, une volonté de s’affirmer, quoi de plus normal à
leur âge ?
Comment aurais-je pu m’en douter ?
Comment aurais-je pu savoir que j’étais la seule personne à ne
pas toucher les pieds par terre quand je m’assois sur la cuvette
des toilettes ? Ce n’est pas comme si c’était la première
question que l’on pose à quelqu’un quand on le rencontre. Et,
par exemple, j’atteins les pédales quand je conduis ma voiture.
C’est bien la preuve que je fais une taille normale. Si j’étais
trop petite, je ne pourrais pas conduire. Oui, il faut que j’avance
le siège au maximum, à tel point qu’on peut se glisser à
l’arrière de ma 3 portes sans relever le siège. Mais si la
position existe, je ne dois pas être la seule à l’utiliser. Je
parviens à attraper les produits en haut de la gondole dans les
supermarchés. En me mettant en position de danseuse étoile, étirée
de la pointe des pieds à celle des doigts, en faisant basculer du
bout des index le produit convoité jusque dans mes mains – car je
ne peux pas le saisir directement. Oui, je me suis toujours dit que
c’était un peu haut mais j’imaginais que c’était pour
permettre aux clients d’innover, de développer leur sens
artistique, un truc dans ce goût là. Il n’était pas du tout
évident que j’étais simplement trop petite pour attraper un
produit.
On voit ma tête aux guichets des
administrations et boutiques. Parfois on ne voit que ma tête, mais
je me suis toujours dit que si j’étais petite on ne la verrait
pas. Je n’ai jamais eu à vivre cette angoisse de devoir sauter
pour se faire apercevoir d’un fonctionnaire peu zélé trop occupé à
remplir sa ligne de sudoku pour se rendre compte qu’une personne
s’agite frénétiquement de l’autre côté du comptoir et que la
masse informe qu’il aperçoit par intermittence n’est pas une
souris qui se ballade sur la tablette mais bien les cheveux d’un
usager qui tente de se faire remarquer.
Je me suis toujours dit que les
pantalons trop longs c’était fait exprès parce que les revers
c’est à la mode. J’ai toujours cru qu’une minijupe arrivait
aux genoux, un corsaire à mi-mollet et un pantacourt à la cheville.
J’ai toujours pensé que j’avais de la chance de ne pas avoir à
me baisser alors que tous mes collègues le font quand je franchis
les portes des réserves aux manettes de notre plate-forme
élévatrice. Je n’ai jamais imaginé que c’était lié à ma
taille. Ca n’est pourtant pas si évident ! Je mesure
régulièrement ma différence de taille avec les gens à qui je fais
la bise en marches d’escaliers, pour ne pas qu’ils se baissent.
Mais je fais ça parce que c’est rigolo. Je n’avais pas
spécialement remarqué qu’une marche fait en moyenne 20cm…
Alors, non, cher lecteur, ne me dis
pas que c’était évident. Les indices que je vois maintenant, en y
réfléchissant parce que j’ai dû faire un énorme travail
d’introspection suite à cette épouvantable découverte quand à
ma stature, n’étaient pas si évidents sur le coup. Je ne vois pas
comment on pourrait s’imaginer que c’est nous qui sommes trop
petits et pas le pantalon qui est trop long ! Oui, j’ai déjà
calculé que j’ai grandi d’1 mètre tout pile depuis ma naissance
mais j’ai toujours trouvé ça marrant, je ne me suis jamais dit
que ce n’était pas beaucoup. Je n’ai multiplié ma taille que
par 3. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il y en ait beaucoup qui
l’aient multipliée par 4, la différence n’est pas si énorme,
il ne faut pas abuser !
Toujours est-il que j’ai décidé de
ne rien changer. Je ne vais pas me mettre à avoir honte de ma petite
taille alors que, toutes ces années, je ne m’en étais pas
aperçue. D’ailleurs, personne ne me l’a jamais fait remarquer
non plus. Signe que ce n’est pas si voyant. J’ai tout de même
décidé de le cacher à mes proches, de peur de les décevoir. Et
puis, c’est quand même quelque chose de difficile à annoncer. Je
n’ai pas envie qu’ils s’inquiètent pour moi. Je ne l’ai dit
à Mister G que parce que j’étais sous le choc et que je ne cache
rien à mon mi-couple. Heureusement qu’il me soutient. Sans, lui je
n’aurais pas tenu.