Ah, le téléphone portable. Objet quasi science-fictionnel
quand j’étais enfant. Pour les enfants d’aujourd’hui, c’est plutôt la cabine
téléphonique qui relève de l’antiquité, voire même de l’objet mystique et
légendaire. J’ai longtemps refusé d’en avoir un. J’ai même fait partie de
l’éminent club anti-portables de mon lycée, qui réunissait 300 membres – selon
les organisateurs, 3 selon les listings officiels. A l’époque, armée de ma
carte téléphonique à puce, que bien évidemment je collectionnais – tiens, va
collectionner les cartes « Elle sait faire » ou « Oh !
Range ! », c’est toutes les mêmes, aucun intérêt – je pouvais à
presque tous les coins de rue appeler ma môman pour la prévenir que j’avais
décidé d’aller manger une glace au « Flaque d’Eau » le plus proche
avec ma copine et en profiter pour bénéficier d’une fouille au corps gratuite
par des flics qui cherchaient de la drogue dans ce restaurant pile au moment où
j’y étais et que donc je rentrerais en retard. Véridique, la fouille. Même
quand on n’a rien à se reprocher, ça fait un drôle d’effet en sortant des
toilettes.
Mais revenons à nos moutons téléphonique. On m’avançait
l’argument « Ben ouais mais c’est pratique, t’es tout le temps joignable ».
Précisément. Indépendante dans l’âme, je déteste être esclave de cet engin se
mettant à sonner n’importe quand n’importe où pour répondre à je ne sais qui
voulant savoir où je suis et ce que je fais. Et bien évidemment il faut
répondre, parce que sinon, tout le monde vous regarde car votre sonnerie débile
dérange les gens autour. Finalement forcée à prendre un téléphone portable par
mes parents me laissant partir faire mes études à 400 km de chez eux, j’ai
découvert la fantastique option « vibreur ». Aussi, mon téléphone est
purement et simplement toujours en mode silencieux. Comme ça, je peux ne pas
répondre sans vivre l’angoisse d’être une asociale sans savoir vivre. Mes
voisins immédiats ne l’entendent pas – moi non plus la plupart du temps – quand
à l’interlocuteur, il n’a qu’à laisser un message et se dire que je suis au
volant, ou partie faire caca, ou au travail, ou…
Ca, c’est un truc que je déteste. On s’attend toujours à ce
que l’on réponde au téléphone. Moi-même, quand j’appelle quelqu’un, j’aime bien
qu’il réponde. Mais bon, s’il ne le fait pas je laisse un message et puis
voilà. Je déteste ces gens qui disent « Ah ben je t’ai appelé t’as pas
répondu ». Et ils ne laissent pas de message. Parce qu’on me dit,
« Ouais, le portable, c’est bien pour les urgences. ». Je suis
d’accord. C’est la seule raison pour laquelle j’en ai racheté un au bout de
quelques années sans, alors que je m’étais subtilement débarrassée du premier
en le refilant à Mister G à la première occasion. Le problème, c’est qu’avec le
portable, comme l’on est supposé être toujours joignable, une pénurie de papier toilette, l’achat de chaussettes ou la
réponse à une question culturelle sur laquelle nous somme experts prennent
rapidement des allures d’urgence. Nous sommes dans un monde du tout de suite.
Moi j’aimais bien le monde du « On verra quand j’aurai le temps, et envie
aussi ». Je fais des efforts pour Mister G. Comme je me suis bien
évidemment arrangée pour ne donner mon numéro à pratiquement personne – c’est
encore le meilleur moyen d’être tranquille – il est quasiment mon seul
correspondant. Correspondant quasi uniquement différé. Au début ça l’agaçait.
Maintenant, je pense que ça l’agace toujours autant mais il s’est résigné.
L’effort consiste à jeter un œil à mon téléphone quand je prends une pause.
Avant, je ne le faisais même pas. Car oui, quand je travaille ben…Je travaille.
Je n’ai pas mon téléphone sur moi.
Et voilà que, la dernière fois que j’ai voulu changer de
forfait pour prendre un truc pas cher pour les 3 min d’appels et les 15 textos
que j’envoie par mois, j’ai quasiment traumatisé la vendeuse parce que je ne
voulais pas de smartphone. Même pas un machin avec un petit appareil photo.
Nan, moi je voulais l'ustensile le plus bête possible, avec des touches et des
trucs pour entendre et parler dedans. Un téléphone, quoi. Comme il est
impossible actuellement de conserver un engin aussi peu évolué, il a tout de
même un écran couleur et même un jeu fantastique « super jewel
quest » délicieusement traduit en français par « super bijou
quête ». Un smartphone, pour quoi faire ? Quel intérêt d’avoir un
engin de haute technologie pour le laisser au fond de mon sac à main
23h30/24 en semaine, encore plus le
week-end ? On me dit que le smartphone me permet d’aller sur Internet. Je
réponds que mon PC aussi. On me dit que le smartphone me permet de savoir où je
vais. Je réponds qu’une carte routière aussi. On me dit qu’il y a des supers
jeux. J’ai bijouquête, merci. On me dit que je peux faire des photos et des
films. J’ai un appareil photo fait exprès pour ça. En plus, j’en ai même un qui
a décidé de customiser toutes les photos avec de belles rayures roses, un truc
super classe. Il fait pas ça ton smartphone, hein ? Ca te la coupe,
hein ?
Non, moi, le smartphone, je le prendrai le jour où il
changera le rouleau de papier toilette vide, passera l’aspirateur, lancera les
lessives à distance et tendra le linge. Je le prendrai le jour où il
surveillera la cuisson des légumes et coupera le feu avant que ça crame. Je le
prendrai le jour où il annoncera à mes correspondants que s’ils ne laissent pas
de messages je ne les rappellerai jamais, sauf Mister G. Je le prendrai le jour
où, quand Mister G me téléphone, ça le téléporte directement devant moi pour
que je puisse lui faire un bisou.
Ou, de façon plus triviale, je le prendrai la prochaine fois
que je devrai changer de téléphone, parce que d’ici là, le truc à la con avec
un clavier et un clapet n’existera plus…